L'Orgie by John Fante

Auteur:John Fante [Fante, John]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2013-01-26T16:00:00+00:00

VI

Le dimanche matin, tirés à quatre épingles pour la messe de huit heures, nous étions autour de la table de la cuisine afin de regarder mon père faire ses préparatifs en vue de son expédition à la mine ; il entassait des provisions dans une boîte en bois – pain, fromage, tomates, oignons, salami et deux cruches de vin.

Toutes ces provisions ont étonné ma mère.

« Combien de temps resterez-vous là-bas ?

— Je reviens ce soir. Mais n’oubliez pas ce qu’a dit Speed : faut creuser et prier. Je veux que tout le monde prie pour nous porter chance. Je creuserai, vous prierez. Si nous trouvons de l’or, tout changera. Je commencerai par acheter une nouvelle maison.

— Je pourrai avoir un vélo neuf ? a demandé mon frère Frederick.

— Pas de problème. »

Ses épingles à cheveux coincées entre ses lèvres, ma mère peignait sa longue chevelure. « Je vais prier pour que tu n’aies pas d’ennuis avec ce vaurien de Frank Gagliano.

— T’occupe pas de Frank. Suffit que tu pries pour qu’on trouve de l’or.

— Je vais consacrer ma communion, a dit ma sœur Clara.

— Moi aussi, a ajouté Frederick.

— A qui allez-vous la consacrer ? a demandé Papa.

— A Dieu.

— Inutile, a dit Papa. Ça porte malheur. »

Ma mère en a eu le souffle coupé. « Dieu – Il porterait malheur ? Voilà que tu parles comme Frank Gagliano !

— J’ai presque cinquante ans, et pour l’instant Dieu n’a jamais fait la moindre chose pour moi.

— Il nous a tout donné, a répondu Mama. Notre famille, notre foyer, la nourriture sur notre table, la santé. Que veux-tu de plus ?

— C’est beaucoup. Je pourrais pas en supporter davantage !

— J’aimerais que tu cesses de critiquer le Seigneur en présence de tes enfants.

— Je dis simplement qu’il ne porte pas chance. Pourquoi ne pas essayer quelqu’un d’autre, histoire de changer ? Pourquoi pas saint Antoine ? Ou San Rocco ? Ou San Gennaro ? Il a regardé ses enfants. Aucun d’entre vous n’a jamais prié San Gennaro ?

— Jamais entendu parler de lui, j’ai dit.

— Le saint patron de Naples, c’est lui. Il m’a rendu plein de services quand j’avais votre âge. Il a hoché la tête d’un air solennel. Essayez-le aujourd’hui. Parlez-lui de la mine de votre père. Demandez-lui de nous guider vers l’or.

— Moi, je prie Santa Clara, a dit Clara. Elle est rudement gentille.

— Glisse-lui un mot en notre faveur. Doit bien y avoir quelqu’un là-haut désireux de laisser votre père souffler un peu.

— Je vais essayer saint Joseph, a dit Frederick. Je suis sûr qu’il va t’aider, Papa. Il était charpentier.

— J’aime pas beaucoup les charpentiers, a dit Papa. Le mieux, c’est de trouver un vieux saint qui a jamais travaillé. Un vieux saint oublié de tout le monde depuis au moins cinq siècles. »

Dans l’allée nous avons entendu le vacarme de la camionnette de Frank, cacophonie si assourdissante qu’elle a presque étouffé le couinement de son klaxon. Par la fenêtre de la cuisine nous avons regardé la camionnette s’arrêter.

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